Une première visite dans une école démocratique (1ère partie)

Dans un local comprenant trois grandes salles se trouvent une cuisine, quelques divans, quelques tables rondes, des ordinateurs, une glissade pour enfants, plusieurs livres et une petite cabane. Dans cet espace, on retrouve une vingtaine d’enfants et d’adolescent(e)s âgé(e)s entre 3 et 16 ans en plus de trois adultes. Un certain nombre d’entre eux sont très concentrés dans différents jeux, quelques-uns sont à lire assis dans les divans alors que d’autres complètent des recherches sur des ordinateurs. Nous sommes en 2009 lors de ma première visite d’une école démocratique canadienne. r-ALL_SCHOOL_MEETING_FALL2012-large570À cet endroit, il n’y a ni pupitre en rangées ni tableau vert. Pour y entrer, un visiteur doit appuyer sur la sonnette à l’entrée. J’y suis accueilli par une des trois adultes, Kate (pseudonyme), une enseignante qui préfère être considérée comme une guide. Bien qu’avant de me rendre dans cette école démocratique, j’avais eu le chance de lire abondamment sur ce type d’école et que j’étais informé que, dans ces écoles, les jeunes étaient libres de suivre leurs passions, qu’ils pouvaient choisir s’ils allaient en classe, en remarquant la glissade intérieure et l’aire de jeux, et en voyant le petit nombre d’élèves, je me dis que cet endroit s’apparentait davantage à une garderie qu’à une école. Il ne suffit que quelques heures pour me faire changer complètement d’avis. En effet, plusieurs aspects de cette école m’ont fait repenser à diverses idées préconçues en lien avec ce à quoi un milieu d’apprentissage devrait ressembler.

En entrant, Kate me fit faire le tour très rapide de ce petit espace tout en m’informant du déroulement d’une journée typique. Voulant pouvoir l’aider avec les jeunes pour la remercier de me permettre de passer la journée avec eux, j’offris d’aller ouvrir la porte de l’école lorsque j’entendis la sonnette. Kate m’informa que je ne pouvais pas répondre à la porte, car je n’étais pas certifié. Sans poser de question, je l’ai laissé aller ouvrir la porte. Un peu plus tard, j’entendis le téléphone sonné et remarquant que personne semblait en mesure de pouvoir y répondre, j’offris d’y répondre pour prendre le message afin de les dépanner, mais, encore là, Kate m’informa que je ne pouvais pas car je n’étais pas certifié. Confus, je lui demandai ce qu’être certifié signifiait voulant pouvoir donner un léger coup de main. Sa réponse changea pour toujours comment mon rapport à l’âge des gens, et surtout, à celui des enfants. En effet, Kate m’informa que dans cette école, il s’assurait de ne pas discriminer en fonction de l’âge. Cela impliquait, par exemple, que si l’un d’entre eux voulait utiliser le four, il devait au préalable avoir démontré à deux personnes certifiées pour l’utilisation du four, et ce, peu importe leur âge, qu’il était compétent pour utiliser le four en fonction des règles d’utilisation de cet appareil. Pour illustrer le système de certification, elle m’indiqua qu’elle-même, âgée d’une quarantaine d’années, n’avait pas le droit d’utiliser la perceuse électrique de l’école, n’étant pas certifiée pour cet outil, alors que certains jeunes âgés de 13 ans possédaient cette certification. L’inverse était également vrai par rapport à d’autres appareils de l’école. Kate était certifiée pour utiliser les ordinateurs, alors que certains jeunes n’avaient pas encore obtenu cette certification. Ce faisant, si vous appelez à cette école, ne soyez pas surpris d’entendre la voix d’un enfant vous répondre, car nul besoin d’avoir un certain âge pour répondre au nom de tous dans cette école, il ne suffit que d’avoir la certification. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé à plusieurs reprises lorsque je les ai contactés pour effectuer cette visite.

Un autre aspect de l’école qui m’a rapidement marqué fut leurs assemblées démocratiques, mais surtout l’engagement de jeunes dans celles-ci. En effet, au cours de ma visite, j’ai pu assister à deux de leurs assemblées démocratiques. Bien que la plupart du temps, ces assemblées ont surtout pour fonction de permettre à la communauté de prendre des décisions (au cours desquelles chaque jeune et chaque adulte ont un vote de valeur égale pour chaque décision) à propos des règles de l’école et des activités de l’école, l’assemblée à laquelle j’ai assisté a vite porté sur un sujet beaucoup plus abstrait. Trois adultes, dont un parent, et quelques jeunes âgés entre 12 et 15 ans y participaient. Le premier sujet abordé eut trait aux tâches ménagères de chacun à la fin de chaque jour d’école car, en effet, le nettoyage de l’école est l’affaire de tous à cette école, ce qui inclut évidemment les élèves. Une décision fut rapidement prise à ce sujet. C’est concernant le deuxième sujet que le débat dans l’assemblée passa à un autre niveau. La discussion dura en tout au moins 45 minutes et la majorité des participants prirent la parole plus d’une fois. Le sujet de la discussion cette fois-ci portait non pas sur les règles de l’école, mais sur le fonctionnement des leurs assemblées démocratiques. La question débattue était: devait-on obtenir un consensus pour prendre une décision à l’école ou une majorité des participants devrait-elle suffire? Jusque-là, l’assemblée devait obligatoirement obtenir un consensus pour adopter une résolution. Certains craignaient que cette approche ne permettait pas de faire avancer les choses facilement. Après une longue discussion à propos des pours et de contres de la proposition, l’assemblée procéda à un vote. Évidemment, pour adopter une approche qui ne nécessiterait que la majorité des votes pour prendre une décision, l’assemblée dut obtenir un consensus sur le sujet, ce qui finit par se produire. Constater l’implication d’adolescent(e)s si jeunes par rapport à une question aussi abstraite, mais aussi significative pour un fonctionnement démocratique fut un des éléments qui m’a convaincu que je ne me trouvais définitivement pas dans une garderie, mais dans un milieu scolaire ouvrant la porte à nombre de possibilités pédagogiques.

Chaque école devrait-elle avoir ce genre d’assemblées et un programme de certification de compétence relatif à l’utilisation de différents outils ou l’accomplissement de certaines tâches? Peut-être pas. Par contre, que des écoles puissent avoir le droit d’instaurer des assemblées démocratiques ayant un pouvoir de décision sur autant d’aspects d’une vie scolaire ou avoir ce genre de programmes de certification pourraient permettre d’augmenter la diversité des options scolaires offertes tant aux élèves, aux parents qu’aux enseignant(e)s, et, par le fait-même, enrayer une partie du décrochage scolaire. (La 2e partie de cet article sera bientôt sur le blog)

Par Marc-Alexandre Prud’homme. Il est le fondateur du RÉDAQ. Il enseigne à temps partiel à Compass à Ottawa et travaille comme chargé de cours à l’UQAC.