Une autre journée, une autre fusillade dans une école

En 1999, lors de la fusillade à Colombine High School au Colorado, je n’avais que 14 ans. J’étais imagesau secondaire comme les élèves qui venaient d’être brutalement tués. Confronté à l’idée qu’un ou des adolescents pouvaient se présenter dans leur école et tuer des dizaines de leurs camarades de classe, je ne savais pas quoi penser. J’étais horrifié, je me sentais dépourvu. Je pouvais comprendre que des jeunes soient frustrés d’aller à l’école jour après jour, surtout s’ils étaient humiliés, intimidés, insultés et rejetés par leurs camarades de classe, ayant été moi-même impliqué malheureusement dans ce genre de dynamique entre élèves tant comme intimidé qu’intimidateur, à cette époque. Cependant, je ne pouvais m’expliquer un tel bain de sang.

Depuis le début de l’année 2014, j’ai pu jusqu’ici recenser 6 fusillades ou événements similaires dans des établissements scolaires américains et canadiens. En tout début d’année, un enfant de 12 ans a tiré sur deux de ses camarades au Nouveau-Mexique. Puis, la même chose s’est produite dans une école à Philadelphie, et encore dans deux universités américaines et un collège canadien. Finalement, le 27 janvier un jeune adolescent s’est immolé dans la cafétéria de son école secondaire au Colorado. Je répète, il s’est immolé.

Bien que le phénomène des fusillades n’ait pas touché le Québec et d’autres régions francophones aussi fortement que les États-Unis depuis la tragédie du Collège Dawson à Montréal, je crois qu’il est impératif de discuter du sujet, tenant compte du nombre croissant de menaces de morts profanées à l’endroit d’élèves et d’enseignant(e)s dans les écoles au cours des dernières années (par exemple, à l’école secondaire Le Sommet l’an dernier).

La raison pour laquelle j’ai choisi d’intituler cet article “Une autre journée, une autre fusillade dans une école” est que le sujet semble avoir désormais autant de couverture médiatique que les accidents d’autos. Il semble être devenu banal. Pourtant, je crois plus que jamais qu’il est crucial que nous nous questionnons. Pourquoi, pour certains, tuer des camarades de classe devient une option à considérer? Ou encore de s’immoler à l’école? Que signifient ces gestes, en particulier le choix du lieu de ce geste? En effet, ces fusillades ne semblent jamais avoir lieu dans des camps d’été. Le choix de l’école comme lieu de la fusillade m’apparaît suggérer qu’il s’agit d’un lieu où la personne commettant la tuerie vivait beaucoup de frustration, de tristesse ou d’isolement. Afin d’expliquer ces horribles actions, plusieurs commentateurs traitent les fusillades comme des gestes isolés commis par des adolescents schizophrènes ou tout simplement fous, ou comme des gestes qui auraient pu être prévenus si nous avions investi davantage dans la santé mentale. Ces explications sont-elles suffisantes pour donner du sens à ces violentes tragédies? Le problème est-il plus complexe que le simple désespoir d’un tireur fou?

Un des principes des écoles démocratiques, qui justifie la liberté octroyée aux élèves dans ces écoles, est que lorsque quelqu’un est obligé d’effectuer une tâche sans qu’il ait offert son consentement, cette personne doit refouler sa frustration ou sa tristesse d’une manière ou d’une autre, surtout si cette situation est répétitive. Ces émotions refoulées refont éventuellement surface. Afin de gérer ces émotions, certains vont pratiquer l’automutilation (une pratique qui a malheureusement beaucoup de popularité chez nos jeunes), alors que d’autres vont choisir de s’en prendre à leur environnement ou à des personnes les entourant. Or, bien que beaucoup de jeunes soient contents de fréquenter des écoles traditionnelles, plusieurs d’entre eux vont à l’école, participent à des cours qu’ils n’ont très souvent pas choisis. Ils se rendent dans un endroit où ils sont parfois victimes d’intimidation, avec des enseignant(e)s qu’ils n’ont pas choisis, donc contre leur gré. Ceci, 180 jours par année jusqu’à l’âge de 16 ans. Comment vous sentiriez-vous si quelqu’un décidait à votre place, sans votre consentement, ce que vous allez faire de vos journées pendant six heures par jour, 180 jours par année? Je sais que, pour ma part, je risquerais d’emmagasiner beaucoup de frustration. Il est évident que ce genre d’accumulation de frustration ne soit pas suffisant pour expliquer les fusillades dans les écoles. Toutefois, je suis persuadé qu’il s’agit d’une piste viable à explorer afin de rendre les expériences d’apprentissage de nos jeunes plus saines.

Ce faisant, non seulement j’ai de la difficulté à croire qu’un élève voudrait s’en prendre à la vie de ses camarades ou s’immoler, dans un contexte d’apprentissage où il a son mot à dire sur le fonctionnement de l’école, sur ce qu’il apprend, sur quand il apprend et avec qui il apprend… comme dans une école démocratique, mais je suis persuadé qu’un tel milieu pourra contribuer à le rendre plus heureux en général. Évidemment, quelques heures après que j’aie eu fini d’écrire une version finale de cette article, une autre fusillade dans une école a eu lieu. Cette fois-ci, la fusillade eut lieu dans une école de Moscou. Un adolescent a tué un enseignant et un officier de police en plus d’avoir gardé en otage une vingtaine d’élèves pendant un certain nombre d’heures. Cette tuerie semble avoir eu une plus grande couverture médiatique que les autres. Par contre, encore une fois, le discours dans les médias tels que CBC et CNN n’était pas à savoir qu’elle était la cause d’un tel événement ou comment créer des milieux d’apprentissage dans lesquels les jeunes pourraient mieux avoir leurs besoins satisfaits ou quel message de désespoir l’enfant souhaitait communiquer, mais plutôt à savoir qu’est-ce que cette fusillade signifie pour la sécurité aux Jeux olympiques.

Par Marc-Alexandre Prud’homme. Il est le fondateur du RÉDAQ. Il enseigne à temps partiel à Compass à Ottawa et travaille comme chargé de cours à l’UQAC.