Je me rappelle, ado, je répétais à qui voulait bien l’entendre à quel point j’avais hâte d’être libérée de la prison. La prison étant l’école secondaire. Les adultes me répondaient tous la même chose, soit que je n’avais aucune idée de ce dont je parlais. Ils avaient raison. À cette époque, je n’avais qu’une connaissance fictive de la prison, je n’en connaissais rien sauf ce que j’en avais vu dans les films (Ni prison Break ni Unité 9 n’existaient encore!). Mais maintenant, j’en connais réellement quelque chose. Je sais ce qu’on ressent derrière la porte barrée d’une cellule dont il est impossible de sortir. Je sais ce qu’on ressent lorsqu’on est confinée dans un endroit pour une période définie, ou encore pire, indéfinie, contre son propre gré. Je sais aussi ce qu’on ressent quand on est confronté à fréquenter un lieu dans lequel toutes sortes de personnes se livrent à des jeux de pouvoir et de domination. J’ai vécu la prison de l’intérieur. À l’école secondaire, je n’ai vécu aucune situation d’intimidation ou de violence, mais j’en ai vu se produire. À l’école secondaire, je pouvais m’évader et aller ressentir la liberté de la découverte; toutefois, je devais en payer le prix. Et non, je n’ai pas été dans l’une de ces écoles dont les portes sont barrées, mais je savais très bien que j’étais OBLIGÉE de fréquenter l’école jusqu’à mes 16 ans. Tout de même, avec mon regard de future diplômée en éducation, je soutiens mon point. À quelques nuances près. L’école ressemble en plusieurs points à la structure carcérale provinciale.
L’aspect légal
Au Québec, la coercition étatique quant au domaine scolaire est très forte. L’état exerce effectivement une coercition légale sur les familles québécoises au sujet de l’éducation de leurs enfants. La deuxième section de la Loi sur l’instruction publique (LIP) stipule que les enfants âgés de 6 à 16 ans sont obligés de recevoir la formation scolaire prévue par le ministère ou une éducation équivalente. Ce sont les commissions scolaires et les directions d’écoles qui ont le devoir de veiller à ce que les familles répondent à cette obligation de fréquentation scolaire. Dans le cas où les familles et l’institution scolaire ne s’entendent pas, c’est le tribunal de la jeunesse qui rendra une décision concernant l’enfant. C’est donc l’état qui contraint l’enfant à l’école, comme l’état contraint un contrevenant à la prison.
La structure physique
D’abord, le lieu physique. L’école est un lieu d’enfermement. Les locaux, tous situés sur le long des corridors, sont les repères de chaque groupe. Les enfants y passeront la majeure partie de la journée, assignés à une place qu’ils n’ont très souvent pas choisie. C’est un cadre administratif, OÙ PRIMENT les points de vue des personnes en position d’autorité, qui choisissent quel élève fréquentera quel autre et où, ET qui détermine la classe des enfants. Au régulier, il y a une différence avec le milieu carcéral, car on tente de répartir les élèves selon la nature de leur difficulté parmi toutes les classes. En adaptation scolaire, c’est cependant plutôt similaire au milieu carcéral. La catégorie à laquelle les élèves ont été associés déterminera la classe dans laquelle ils seront…. classés. Du côté de la prison, c’est la sentence émise (ou pas) par le juge qui détermine l’aile à laquelle un détenu sera assigné.
La coercition physique
À mon avis, les contraintes physiques sont nombreuses. Commençons par le temps. À l’école, tout est réglé selon un horaire plutôt stricte. Un enseignant du primaire vous dira qu’il sait prendre le pouls de sa classe et ne fera pas de mathématiques s’il sent que les élèves sont agités. Qu’en est-il de l’enseignant de maths au secondaire? Peut-il se permettre de discuter d’économie ou d’environnement avec son groupe s’il s’aperçoit que celui-ci n’est pas disposé à intégrer la nouvelle matière? Non. En général, un horaire est prédéfini et les élèves doivent s’y plier. S’ils ne le font pas, des conséquences s’en suivront, telles que le fameux local de retrait.En prison, les cas sont variés. En milieu provincial, tu seras confiné à ta cellule pour la période suivante si tu ne te présente pas à ton aile pour aller diner en cafétéria. Tu perdras ta place si tu ne te présentes pas à l’heure prévue pour aller à “l’école” ou au “travail”. Ce sont les conséquences prévues par l’administration.
Une autre forme d’oppression physique est celle de rester à l’intérieur toute la journée. Pendant une période de 6 heures, l’enfant est cloitré dans un espace physique restreint et imposé par autrui. S’il a besoin d’espace, c’est tant pis pour lui. S’il a besoin d’air frais, il en aura seulement pour 30 minutes dans la journée. S’il s’ennuie de son parent ou tuteur, on ne lui permettra pas de l’appeler. S’il n’arrive pas à suivre les normes du groupe, on le retirera de la classe.
Que dire du fait d’avoir à rester assis, en silence et concentré pendant des laps de temps souvent égal ou plus long que ce que la neuropsychologie reconnait comme habileté moyenne du cerveau? Ça, cette oppression sur la liberté du corps, il n’y en a pas en prison. Tu restes libre de fixer ton attention sur ce dont tu souhaite et personne ne t’empêchera de te lever de ta chaise autant de fois que tu en as besoin. Selon moi, cette contrainte est la pire qui soit imposée aux enfants dans le monde scolaire.
La coercition psychologique
Bien que peu d’enseignants doivent avoir explicitement dit à leurs élèves que sans leur diplôme, ils ne deviendront rien d’utile dans cette société, tout le système scolaire le chuchote constamment. Si tu ne performe pas bien dans les matières jugées importantes, TU n’es pas bon. Plusieurs études démontrent des corrélations entre le sentiment d’efficacité, suivi de la perception de soi, et les notes scolaires. Si tes comportements naturels ne répondent pas à ceux attendus en classes, ils sont considérés comme étant des dysfonctionnements curables par de la médication.
Il est vrai qu’il est plus simple d’entrer dans les niveaux d’études supérieures avec les diplômes offerts par le système. Mais, il est faux de dire que c’est l’unique façon. Pourtant, qui sait cela? Qui sait que plusieurs excellentes universités sont accessibles par démonstration de port-folio et d’excellence en terme de connaissance d’un domaine précis? N’est-ce pas là une forme de tactique manipulatrice de la part du système éducatif? Je tiens à souligner que je ne crois pas que ce soit les acteurs les manipulateurs, ces éducateurs sont plus souvent qu’autrement des personnes dévouées et bien intentionnées, je le sais bien.
Pour finir…
Plusieurs plaideront que cette décision étatique d’obligation à l’école en est une qui avantage la population québécoise. Ceux-ci argumenteront que cette coercition permet l’alphabétisation de la population à continuer son ascension et permet à tous le droit à l’égalité des chances en matière d’éducation, tout en protégeant les enfants des méchantes sectes ou religions. Je ne suis absolument pas contre la valeureuse mission d’alphabétiser la population, ni contre celle d’assurer l’égalité des chances ni celle du bien-être des jeunes et du peuple. Simplement, plusieurs statistiques démontrent que le système d’éducation québécois n’est pas en mesure de livrer un excellent rendement dans ces domaines, bien qu’il ait produit de beaux succès. Le Québec reste la province avec le taux le plus élevé d’alphabétisation fonctionnelle au Canada… Je prétends donc encore que l’école est finalement, systémiquement, bien davantage un lieu d’acquisition d’un état conformisme intellectuel et comportemental autant qu’un lieu où on casse la nature propre des jeunes telle une prison, plutôt qu’un lieu d’apprentissage dans son sens évolutif et constructif. Plusieurs exemples d’unschoolers existent pour démontrer que l’étude obligatoire des matières normées n’est pas l’unique façon de s’éduquer et devenir des êtres créatifs qui contribuent à la société. Et encore, est-ce que qui que ce soit jugerait négativement les grandes valeurs de la charte des droits et libertés de l’homme? Je crois que peu de québécois le feraient. Pourtant, l’application de la législation québécoise sur l’instruction publique brime le droit des parents de choisir l’éducation que recevront leurs enfants, droit qui est énoncé par cette grande charte…
Ana est diplômée en science de l’éducation et souhaite contribuer directement à l’innovation en éducation au Québec.