J’ai visité pendant deux jours l’école libre de Naestved
C’est une école d’environ 110 élèves de 4 à 18 ans qui est ouverte depuis plus de 15 ans. Initialement, elle était une école Sudbury (voir l’article de Sudbury school Gent et Roskilde Den Democratik Skole, mais suite à des inspections gouvernementales, la décision a été prise de faire certains compromis afin de continuer à recevoir l’argent du gouvernement. L’argument du gouvernement était que l’école devait leur prouver que les enfants apprenaient le programme afin qu’elle puisse recevoir de l’argent, or, dans les écoles Sudbury, c’est l’enfant qui décide d’apprendre ce qu’il veut. Maintenant il n’est pas évident de voir ce qu’il reste du concept et des valeurs de Sudbury.
Un compromis majeur que l’école a fait est d’imposer un horaire de cours aux élèves. Étant donné que le gouvernement veut avoir des preuves que les élèves apprennent le curriculum, l’école fait passer les examens de fin de scolarité à tous les élèves. La direction de l’école explique que c’est le moyen le plus simple de prouver au gouvernement les apprentissages des élèves. C’est la première école libre/démocratique que je visite qui fait évaluer obligatoirement ses élèves. Les autres écoles outillaient les élèves qui le désiraient afin qu’ils passent leurs examens dans une autre école ou dans un centre du ministère de l’éducation. Dans ces écoles la plupart des élèves demandaient à passer les évaluations et par conséquent assistaient aux cours, mais ils avaient toujours la possibilité de ne pas y assister; le choix était le leur. Par contre, ici, c’est une obligation que les élèves ont d’être évalué sur le curriculum et cela implique donc une obligation à assister aux cours. De mon point de vue, ce compromis entrave la nature « libre » de cette école en plaçant l’adulte en autorité d’imposer le curriculum. L’école de Naestved propose aussi à ses plus jeunes élèves de passer des évaluations afin de savoir où ils sont rendus dans leurs apprentissages afin de pouvoir les orienter. Ces évaluations ne sont pas obligatoires.
L’école est située dans un petit village situé à une quinzaine de kilomètres de Naestved. Les jeunes ont accès à une grande cour où il y a des jardins, cabanes, circuit de BMX et terrain de soccer. Récemment, l’école a pu acquérir un bâtiment voisin où sont aménagés un gymnase et une salle de musique.
Une journée à Naestved
De 8 à 8h30 les élèves entrent graduellement dans l’école pour assister à leur premier cours jusqu’à l’assemblé du matin à 10h00. À 10h30, ils reprennent les cours jusqu’à 12h00 pour le diner et reprennent les classes à 12h30 jusqu’à 14h00.
Les élèves qui sont divisés en 4 groupes selon les âges : Junglen de 4 à 7 ans, Timeland de 7 à 10 ans, Gopler de 10 à 13 ans, Bubbles de 13 à 15 et enfin Ballons de 15 à 18. Les plus vieux ont un horaire beaucoup plus chargé que les petits étant donné l’approche des évaluations, ce qui fait en sorte qu’ils n’ont plus le temps de faire partie de comités. Ces comités sont donc beaucoup moins nombreux qu’ils ne l’étaient avant lorsque c’était une école Sudbury. Les trois premiers groupes d’élèves ont beaucoup de liberté, mais les horaires des deux derniers groupes ressemblent à l’école traditionnelle. L’élève choisit son horaire individuellement en collaboration avec un enseignant. L’enseignant est là pour s’assurer que l’élève respecte le programme et suive tous les cours pour réussir les évaluations. Cette collaboration est donc biaisée par ce rapport de force où l’élève est en situation de soumission au programme.
Outre les cours classiques et les évaluations, les élèves vivent des activités variées, surtout les plus jeunes d’entre eux. J’ai pu observer une équipe de jeunes cinéastes durant le tournage d’un film. D’autres assistaient à un atelier de cuisine ou apprenaient à créer de la musique par ordinateur avec le logiciel Ableton Live. Les plus jeunes peuvent aussi profiter de la présence de visiteurs. Les enseignantes de Junglen (4 à 7 ans) et de Timeland (7 à 10 ans) m’avaient proposé de montrer des images du Canada et de parler de mon pays. J’ai discuté en anglais avec un petit groupe d’intéressés grâce à l’aide d’une jeune traductrice.
Gouvernance
Les assemblées du matin sont obligatoires et sont un moment où les jeunes partagent les différents projets ayant court durant la journée. C’est un rituel de bienvenue et l’occasion d’inviter les autres élèves à une partie de cachette ou une visite d’exposition. Certaines décisions organisationnelles sont prises lors de ces assemblées, mais les discussions de fond et la réelle autorité est à l’assemblée générale. J’ai pu organiser une session d’improvisation musicale et inviter les élèves à y participer lors d’une assemblée du matin. Nous avons convenu collectivement du meilleur temps pour l’organiser. Un adulte intervient pour proposer que quelqu’un m’accompagne pour m’aider, il craint que les élèves brisent du matériel. Je demande si c’est nécessaire et les jeunes ajoutent qu’ils sont capables de m’aider. Finalement, 8 élèves sont venus et on joué du piano, batterie, guitare, basse et ont chanté.
Durant l’assemblée générale qui se tient une fois par semaine les mercredis, j’ai eu la chance d’avoir un traducteur. Je vais vous rapporter l’argumentaire des jeunes dans l’objectif de montrer comment ils sont en mesure d’organiser la vie scolaire par eux-mêmes et sont capables de raisonnements extrêmement lucides lorsqu’ils sont impliqués dans un réel pouvoir politique. Un des adulte de l’école a proposé le point suivant: que les jeux soient interdits dans la grande salle (kolossallen) durant le temps du diner, car il y avait beaucoup de bruit pour ceux qui mangent. Voici les différentes réactions des élèves:
- Un garçon de 8 ans demande des explications sur ce qu’est un jeu. Il considère que ce n’est pas clair et qu’il sera difficile de respecter le règlement.
- Une fille de 10 ans souligne que le règlement ne réglera pas le problème de bruit puisqu’il est possible de faire du bruit sans jouer et qu’il est aussi possible de jouer sans faire de bruit. Elle s’ inquiète aussi de l’injustice possible pour ceux qui jouent calmement.
- Une fille de 14 ans indique que la kolossallen est déjà censée être un endroit calme, il existe un règlement pour cela. Il suffirait donc d’appliquer le règlement convenablement.
Certains pouvoirs de l’assemblé générale étaient délégués à des comités composés d’élèves et d’enseignants comme les décisions concernant le budget de l’école. Par contre, il semble que de moins en moins d’élèves puissent participer dû à la charge de cours, les adultes ont donc fermé les comités. Je n’ai pas réussi à savoir si l’assemblé générale avait repris ces pouvoirs ou si c’était maintenant les adultes qui décidaient.
Mon sentiment général est que les adultes de cette école veulent avoir un contrôle sur ce qui s’y vit. L’anecdote suivante n’est pas anodine, lorsque je suis arrivé, j’ai reçu la consigne de suivre la même femme pendant la première heure. Elle ne voulait pas que je circule dans l’école seul en évoquant le fait que les autres ne savaient pas qui j’étais et ne savait pas qu’ils devaient me parler en anglais… Cela nous éclair sur deux points, premièrement, les élèves n’étaient pas impliqués dans la décision d’accueillir un visiteur et que les adultes ne font pas entièrement confiance aux jeunes et aux visiteurs.
Mots de la fin
L’école a été mise sur pied par des parents et enseignants grâce à la loi au Danemark sur les écoles libres. Pour fonder l’école, ils doivent rassembler 12 élèves et écrire une constitution (philosophie et règlement de l’école) qui doit être approuvée par l’état.
Jean-Simon Voghel est un jeune enseignant à la retraite. Il est également un des membres-fondateurs du RÉDAQ.