Mes élèves ont décidé pour qui j’allais voter

Je suis impliqué dans le mouvement des écoles démocratiques depuis 2009 parce que je crois au partage égalitaire des pouvoirs décisionnels et donc au potentiel de la démocratie que ce soit autant dans le monde de l’éducation qu’ailleurs. Cela ne veut pas nécessairement dire que je crois de manière absolue en notre système «démocratique» de gouvernement au Canada et au Québec. Par exemple, je suis mal à l’aise avec l’idée qu’on puisse voter pour des êtres humains (nos député(e)s), mais pas pour des idées ou des projets de société. De plus, j’ai de la difficulté avec la définition de citoyen qui semble se baser surtout sur la notion d’âge et qui, par conséquent, exclut une grande partie de la population, les moins de 18 ans, groupe qui est affecté par les décisions prises par le gouvernement. Une des raisons souvent soulevée afin de justifier une limite d’âge est que l’enfant de moins de 18 ans n’est pas prêt à voter. federal-leadersOr, comment peut-il le devenir? Est-ce après avoir fait le tour du soleil 18 fois qu’on devient prêt? Je ne crois pas. En fait, je crois ardemment que l’on apprend en faisant, donc, dans ce cas-ci, à force d’exercer son droit de vote tout comme on apprend à être un parent surtout en le devenant et, non pas, en suivant un cours (bien qu’on puisse tout de même apprendre certaines choses dans un cours). En discutant des élections avec mes élèves de Compass, un type d’école démocratique à Ottawa, l’une d’entre eux me demanda de ne pas voter pour Harper. Je lui ai donc demandé pour qui elle voterait si elle le pouvait. Elle me dit que pour l’instant, elle ne le savait pas et qu’elle allait décider et s’engager dans ce genre de prises de décision que lorsqu’elle allait avoir 18 ans. Or, cela n’implique-t-il pas qu’avoir pu voter lors de cette élection, elle aurait entrepris de s’informer davantage sur les différents partis politiques et de contribuer au débat public? Peut-être que oui, peut-être que non, mais je suis persuadé que cela aurait été le cas pour plusieurs jeunes.

Depuis plus de 2 ans, je donne des cours d’actualité à Compass. Cette semaine afin d’impliquer les jeunes davantage dans la conversation entourant les élections, j’ai décidé que j’allais voter pour qui ils me diraient de voter. Lorsque j’ai fait l’annonce que c’est ce que j’allais leur demander lors de mon cours, la classe n’avait pas encore commencé qu’un débat, que j’ai préféré arrêter pour le garder pour le cours, commença pour une quinzaine de minutes. Je m’étais dit que j’allais commencer par demander à mes élèves pour qui ils voteraient s’ils le pouvaient, pour ensuite, les faire participer à la boussole électorale afin qu’ils puissent voir si leurs intentions de vote correspondaient à leurs convictions par rapport aux différents enjeux électoraux. Toutefois, étant dans un milieu d’apprentissage démocratique, tant le contenu que le format de mes cours sont décidés démocratiquement, car, après tout, mes jeunes peuvent choisir s’ils vont en classe ou pas. Conséquemment, mon groupe opta pour effectuer la boussole électorale collectivement. J’ai rapidement pu apprécier ce choix. En effet, je fus très surpris du niveau auquel l’activité fut propice au débat. Dans la boussole électorale, les participants sont amenés à prendre position sur un énoncé en choisissant parmi des options comme très favorable à l’idée, passablement favorable, neutre… Or, en passant d’un énoncé à l’autre, je n’avais même pas à lire l’énoncé que le groupe commençait déjà à débattre quelle option choisir et pourquoi la choisir. Dans plusieurs cas, nous réussîmes à nous entendre sur le choix à faire, bien que pour quelques enjeux comme l’avortement, la criminalité, l’implication du Canada par rapport à l’État islamique, les différences de points de vue furent plus notoires. Autre constatation que j’ai pu apprécier, dans ce contexte d’apprentissage où il n’y a pas d’évaluation ou de compétition, plusieurs élèves furent à l’aise de poser des questions lorsqu’ils ne comprenaient pas un enjeu, ce fut notamment le cas quant aux pouvoirs du Sénat et de la Reine au Canada. Par ailleurs, étant donné que les jeunes peuvent choisir s’ils fréquentent mes cours ou pas, cette activité attira des élèves qui, autrement, ne venaient pas au cours d’actualité, alors qu’un des élèves qui assiste fréquemment à ce cours choisit de quitter en plein milieu du cours après m’avoir informé qu’il ne voulait pas que je vote pour Harper.

Au bout du compte, selon la boussole électorale, les convictions de mon groupe étaient plus près de celles du Parti libéral que de celles des autres partis. Par ailleurs, étant ontariens, ils furent très surpris et mécontents pour certains de voir à quel point leurs positions par rapport aux enjeux étaient proches de celles du Bloc québécois. Après avoir analysé nos résultats, je leur ai demandé pour qui ils voulaient que je vote. Il y eut un certain appui pour le Parti vert et le NPD, mais ce fut le Parti libéral qui l’emporta, alors que les Conservateurs ne reçurent aucun vote. De plus, inquiet de l’influence que je peux avoir sur mes jeunes lorsque je donne ce cours, par souhait de transparence, j’ai voulu leur demander s’il pouvait deviner pour qui j’aurais voté si je ne leur avais pas demandé pour qui voter, et ce, afin qu’ils puissent mettre des bémols sur mes propos lors de futurs cours. Certains furent surpris d’entendre pour qui j’aurais voté alors que d’autres furent déçus.

J’ai donc fini par voter par anticipation pour le Parti libéral. Je vais assurémment tenter de répéter l’exercice lors de prochaines élections. Malgré tout, cette activité peut s’effectuer dans d’autres milieux scolaires qu’une école démocratique. Par ailleurs, elle possède tout de même quelques limites. Par exemple, j’aurais souhaité qu’on réussisse à prendre plus de temps pour associer les différentes positions par rapport à chaque enjeu aux différents partis. Néanmoins, un indice que j’aime bien utiliser pour juger d’une activité que j’effectue en classe est à savoir si le débat ou la conversation autour de l’activité continue une fois le cours terminé et, dans ce cas, la discussion continua longtemps engageant tant la co-directrice de Compass que des jeunes qui n’avaient pas assisté au cours voulant savoir pour qui leurs camarades allaient me faire voter.

Marc-Alexandre Prud’homme est le fondateur du RÉDAQ. Il enseigne à temps partiel à Compass à Ottawa et travaille comme chargé de cours en éducation à l’UQAC.