L’école alternative de mes enfants

J’ai grandi dans un petit village du Bas-St-Laurent. J’ai fait la pré-maternelle à l’âge de quatre ans et, par la suite, il n’y avait qu’une petite école primaire dont les classes étaient en majorité jumelées. Au secondaire, je devais prendre l’autobus scolaire jaune qui m’amenait à la polyvalente la plus proche de chez moi. Il n’existait qu’une école secondaire privée, mais à l’époque, la qualité de l’enseignement était comparable dans les deux écoles. C’était donc une séparation «sociale» très nette, compte tenu des frais de scolarités considérables à l’époque.unnamed (2)

J’avais soif d’apprendre et j’ai eu la chance d’être soutenue dans ce sens. Cela ne m’a pas empêchée d’être une spécialiste du système: j’avais des bonnes notes car j’avais compris quoi et comment étudier. Résultat: je ne prenais pas le temps de développer à fond un sujet qui m’intéressait car mon emploi du temps ne me le permettait pas. Autre constat: j’ai appris à n’aimer que ce que je réussissais bien et non ce qui m’intéressait et, après plusieurs années, je ne savais plus ce qui m’intéressait vraiment.

Les années ont passé et ce fût à mon tour d’avoir des enfants. J’ai pris connaissance des similarités et des différences de ma scolarité comparée à celle que mon mari a reçu en Allemagne et c’est là que je me suis rendue compte que ce que je trouvais normal au Québec, ne l’était pas nécessairement ici. En effet, mon mari a connu les Kinderladen, l’école alternative et aussi le Gymnasium (niveau secondaire) conservateur. Tout cela n’existait pas où j’habitais, enfant.

Après plusieurs discussions, recherches et rencontres, j’ai découvert que le système allemand m’offrait des possibilités inconnues auparavant qui correspondaient mieux à mes valeurs en éducation. À condition toutefois de se trouver dans un grand centre. C’est ainsi que nous sommes partis à la découverte, au «magasinage» d’école, dès que mon fils Jeremy a eu un an! J’étais déjà au courant de la difficulté d’obtenir une place dans une crèche, garderie ou maternelle. Pour choisir d’avance l’école qui correspondait le plus à notre style de vie, eh bien, il fallait s’y prendre tôt! Nous avons la chance d’habiter à Francfort où l’on trouve plusieurs écoles alternatives comme par exemple Montessori, Walldorf et Aktive Schule. Celle que nous avons choisie s’appelle la Freie Schule Frankfurt. Cette dernière existe depuis bientôt 40 ans et elle fût la première du genre à être crée en Allemagne. Les enfants sont admis à partir de 3 ans et il existe depuis peu la possibilité de crèche à partir de l’âge d’un an.unnamed (1)

Le concept pédagogique est basé sur l’apprentissage de l’enfant à son propre rythme et sur l’autorégulation et ce, à tous les niveaux. Il peut s’agir autant de la matière scolaire que de l’alimentation, de l’habillement ou du comment dépenser son argent de poche. Évidemment, il existe plusieurs règles qui sont souvent votées par les enfants. Elles pourraient nous sembler parfois «dures», en tant que parents, mais elles reflètent la volonté des enfants. Ils apprennent ainsi la discipline personnelle, c’est-à-dire à penser aux autres, à respecter leurs droits et non à faire tout ce qu’ils veulent sans voir les conséquences sur autrui.

L’école est divisé en trois groupes: le groupe des plus jeunes (jardin d’enfant), des moyens (où l’on fait normalement l’apprentissage de la lecture/écriture) et des grands qui quittent l’école vers 12 ans, habituellement pour le Gymnasium (école secondaire) ou la Gesamtschule. L’enfant décide du moment où il est prêt à changer de groupe et tout se déroule dans un concept ouvert. Il n’y a aucune obligation d’apprentissage et les devoirs n’existent pas. Tous les groupes entrent en contact avec les autres de façon naturelle. Les enfants apprennent des plus grands et les grands s’occupent des plus petits et vivent une deuxième «socialisation», soit en dehors du milieu familial. Les professeurs s’appellent des «adultes», personne ne les vouvoie et ils ont la même voix qu’un enfant lors des réunions d’écoles. L’enseignement se fait en petit groupe à base volontaire.

Les parents sont exclus du cadre scolaire quotidien, mais ils participent régulièrement à des réunions de parents ou d’éducateurs. Ils discutent des thèmes actuels, participent aux journées de rénovation ou donnent de leur temps dans différents comités permettant de veiller au bon déroulement de l’école. Les parents contribuent au financement de l’école, selon leurs moyens, qu’ils soient étudiants ou professionnels.unnamed

C’est un peu difficile pour moi d’expliquer en quelques lignes ce que les enfants font toute la journée ainsi que l’ambiance qui y règne car je n’y suis pas. Et c’est bien ainsi! Quand je vais chercher mes enfants à la fin de la journée (16h15), je les retrouve un peu partout: sur la scène en train d’essayer plusieurs costumes à la fois, à boire un chocolat chaud devenu froid, à dessiner des personnages de «Star Wars» ou bien à tracer des lettres dans un cahier d’apprentissage à l’écriture.

Mon fils va à cette école depuis bientôt quatre ans et je ne regrette en rien ma décision. Je voulais que, contrairement à moi, il puisse vivre le plus longtemps possible sa vie d’enfant et l’éloigner, autant que possible, de la pression sur les per- formances. Je ne vivais que pour les notes. Je n’apprenais que pour les examens et j’ai au même moment étouffé certains de mes intérêts d’enfants car ils ne correspondaient pas toujours au programme du ministère. Je pense par exemple aux arts plastiques et à la musique. Depuis notre arrivée à cette école, j’ai vu de nombreux enfants bien dans leur peau, confiants et capables de gérer des conflits sans l’intervention des adultes. J’en suis toujours impressionnée.

Aujourd’hui, je n’idéalise peut-être plus le système scolaire québécois comme avant. Je continue cependant de croire que sa force réside dans la relation beaucoup plus personnelle qui existe entre les enseignants et les élèves. Le peuple québécois est chaleureux, à l’école aussi! Au Québec, je n’ai jamais eu un professeur qui ne se rappelait pas de mon nom ou qui avait de la difficulté à associer mon visage à un nom sur une liste. J’ai eu la chance d’être entourée de professionnels inspirants qui ont su reconnaitre mon potentiel, mais qui, d’un autre côté, étaient pris dans un système qui valorise le nombre de petites étoiles dans un cahier de dictées.

Je réalise que notre choix d’école ne convient pas à tous les parents et que d’autres options sont plus adaptées pour certains enfants. unnamed (3)Après tout, ce sont les parents qui connaissent le mieux leur enfant et je ne prêche aucunement que pour ce type d’école! Pour moi, c’était une aventure que j’avais envie de vivre et qui, jusqu’à présent, s’avère positive bien que parfois moins facile à vivre car nous sommes souvent amenés à repenser au bien fondé de nos propres limites et de nos besoins.

Je me réjouis de pouvoir faire partager à mes enfants deux cultures, deux langues, bref, une ouverture sur le monde. J’ai compris qu’au final, il n’y a pas d’école qui va remplacer ce que nos parents peuvent nous transmettre comme leçon de vie.