L’acronyme revu

Vous trouverez, dans le propos suivant, que je ratisse large, je m’en excuse, je reçois souvent les reproches de mes proches pour de pareilles maladresses, elles ne sont qu’à demi volontaires, seulement à demi!acronym-soup_s

Tout nouvel arrivant dans la profession enseignante pourra le confirmer, l’intronisation dans un milieu professionnel est de plus en plus stressante, avec de moins en moins de repères. Certains se plaignent  de voir notre préparation universitaire puiser trop dans la théorie et l’abstraction pour nous préparer à notre future profession remplie d’élèves, de collègues, de béton et… d’acronymes! Ici, j’accroche sur les acronymes puisqu’ils m’exaspèrent plus que tout le reste! Parfois, ils représentent des institutions : CSN, UDM, UQAM, FAE, CSDM, CSMB. Parfois, ils représentent des personnes ou groupes, des afflictions ou des traits de personnalité, c’est selon : CMA, EHDAA, TDAH… De la SAÉ au TBI, des groupes, des cours, bref, notre métier est devenu un métier de l’acronyme! Une codification opaque le détache du reste de la société, comme c’est le cas de chaque domaine sur essentiellement les mêmes modes!

Ceci est bien un symptôme de quelque chose et non la chose en soi. L’éducation se trouve à en être le moteur puisque son rôle est effectivement d’inculquer le sens du monde par ses codes. Et il y a, en ce monde, une brisure grandissante entre le sens et le code.

Les maux et les mots du sens

Un mot n’existe que par son sens, un mot qui n’a pas de sens ne survit pas. Un mot dont le sens ne sert plus, ne survit pas. C’est le sens qui attache le mot à sa langue et le perpétue dans les bouches de ceux et celles qui à la fois l’utilisent et la transmettent. Une langue est donc à la fois une norme de code et une norme de sens. C’est dans les mots que réside le sens commun d’une culture, il n’y a rien de banal dans ce système, même si on ne s’y attarde que très peu. Il est justement très difficile de s’y attarder puisque dans la vie quotidienne, les deux entités semblent en être qu’une seule, en plus d’être la matière principale de notre raison. Et oui, nous pensons en mots!

La masse totale de sens par les mots des diverses langues est en déclinaison. Peu importe quelle découverte scientifique on fera, on ne saurait générer des mots à la vitesse dont ceux qui existaient auparavant disparaissent maintenant. Un dernier locuteur d’une langue ou d’un dialecte meurt toutes les deux semaines. Chaque fois, c’est un dictionnaire qu’on enterre. Un code qui disparaît, une masse de sens, aussi. Une forme de compréhension du monde qui, en quelque sorte, s’oublie. Il y a de moins en moins de sortes de codes (de langues) et en même temps, il y a consolidation de sous-codes spécialisés à l’intérieur d’une même langue (les jargons professionnels).

La cryptographie du rang social

Les hiéroglyphes égyptiens étaient volontairement complexes, on voulait les réserver à ceux qui avaient dédié une grande partie de leur vie à leur apprentissage puisqu’il donnait accès à une «caste» supérieure. Notre alphabet et notre langue écrite malgré de grands discours de démocratisation traînent toujours un peu de ce syndrome du scribe. En français, c’est la grammaire et l’orthographe moins que l’alphabet qui en sont les clés. Ce code écrit repose sur des normes dictées par des élites qui en prescrivent l’usage. Si la langue parlée reste en grande partie calquée sur la norme et l’usage populaire, l’écrit est de fonctionnement radicalement élitiste.

Les acronymes, c’est la deuxième couche, voire la troisième couche de code à l’intérieur d’une même langue. Les mots prennent dorénavant la forme d’une course à obstacles entre le sens et le code. Pour comprendre, il faut non seulement savoir l’écrire, avoir croisé le sens en sa forme complète d’abord, être à jour sur une nomenclature toujours changeante, mais l’avoir aussi retenu. Ce qui n’est pas simple lorsque le sens n’est pas là ou encore trop loin! Mon bon professeur Baillargeon parle du nombre magique de 7 plus ou moins 2, comme le nombre d’éléments capables d’être retenus par notre mémoire de travail sans être «chunkée» par le sens. Les choses simples se complexifient (le cours d’histoire devient : histoire et éducation à la citoyenneté); l’usage devient laborieux ; le raccourci (HEC) devient coutume et crée, de fait, un enclave opaque à qui n’y fut pas intronisé. Pire encore, HEC, veut aussi dire : Hautes Études Commerciales, et bien probablement d’autres choses aussi. Quelle maladie fatale à la conversation démocratique que cet isolement des expertises! Des normes pernicieuses  deviennent coutumes et personne n’y pense plus qu’il ne le faut, alors qu’il devient de plus en plus difficile de se parler au travers des murs cryptés qu’on a érigés dans notre langue!

Je pose enfin deux questions pour conclure le tout, je sais le sujet incapable d’animer des foules et créer des débats, mais je les pose quand même : l’économie de temps de l’utilisation d’un acronyme vaut-elle l’exclusion à la conversation de tous ceux qui ne s’y sont pas spécifiquement intronisés? N’est-ce pas la même chose qu’un curé qui prêche en latin, devant un auditoire qui ne le parle pas pour ainsi s’assurer de ne jamais être contredit?

Bien amicalement,

Elisabeth Doyon finit présentement son baccalauréat en enseignement secondaire à l’UQAM.