J’ai visité l’école la Paideia pendant une semaine à Mérida, une petite ville au sud-ouest de l’Espagne dans une région rurale et pauvre. C’est une école autogérée, qui ne reçoit pas d’argent du gouvernement et qui n’est pas non plus une école privée. Elle existe depuis 1977 et a été créée indépendamment de l’état durant la chute du régime Franco. Elle refuse les visites d’inspecteurs qui viendraient évaluer l’enseignement qui y est donné, l’école ne recevant aucun financement, le gouvernement n’a pas à y mettre son nez. Elle est gérée par un collectif d’adultes et par les enfants selon des valeurs anarchistes et féministes.
L’école est située à l’extrémité d’un développement urbain qui semble abandonné. Des quadrilatères
de rues vides et des lampadaires entourent des terrains vagues. Cet environnement donne un côté hors du temps aux arbres matures et aux deux bâtiments principaux. Le premier accueille une trentaine d’enfants séparées en trois groupes d’âge (3 ans, 4 ans et 5 ans). Il y a 4 enseignants qui se partagent la responsabilité des groupes et ils sont en rotation, l’objectif étant que tous les adultes côtoient tous les enfants régulièrement. Le deuxième bâtiment est pour les élèves de 6 à 14 ans (35 enfants pour 3 adultes)
Une journée à La Paideia
Un autobus fait le tour de la ville le matin et le soir pour transporter les enfants et 2 enseignantes. En arrivant à l’école, les enseignant.es prennent le temps d’accueillir tout le monde avec un bec chaleureux et quelques phrases. Les plus jeunes se dirigent vers leur bâtiment pendant que les enfants à partir de 6 ans ont une tâche soit dans la cuisine, le jardin ou les classes
Les enfants d’âge scolaire sont répartis en trois groupes : median@s, median@s mayore et mayores. Chaque groupe a un local attitré et un horaire hebdomadaire lui est proposé avec des cours/ateliers d’anglais, de sports, de botanique, de musique. Les enfants ont la liberté de ne pas aller aux cours ou en période de travail, mais peu la prennent. Les enfants suivent la communauté parce qu’ils ont un sentiment d’appartenance avec le groupe et sont fiers d’y participer. Les adultes accordent beaucoup d’importance à développer une conscience sociale par la promotion du travail et de la participation dans la communauté. C’est valeurs font contraste avec le caractère plutôt individualiste des philosophies rencontrées dans les autres écoles libres.
Il y a aussi la période de travail intellectuel où c’est un adulte qui est disponible pour répondre aux questions ou enseigner à des petits groupes. Durant ce temps, les jeunes font du travail personnel ou des activités de lecture, d’écriture et de mathématiques. Ils peuvent s’arrêter, se promener et discuter librement tant qu’ils ne dérangent pas le travail des autres. Le type de travail lors de ces périodes est souvent le traditionnel papier-crayon. J’ai vu des exercices de mémoire en géographie, des résolutions de problèmes fictifs en mathématique et des listes de vocabulaire à recopier. Le travail collectif fait aussi partit des activités éducatives de l’école et est vu comme un outil d’émancipation. Lorsque j’ai questionné sur de possibles incohérences entre le travail obligatoire et la liberté, deux jeunes d’environ 11-12 ans m’ont expliqué que ce qui leur permettait d’être libres est leur implication dans le travail collectif, car de cette manière ils apprennent l’autonomie et l’organisation. Autrement, ils resteraient dans une situation de dépendance envers les gens qui s’occupent d’eux.
Du côté des petits, il y a deux activités par jour pour les 5 ans et certaines activités avec les 4 ans.
Elles sont choisies collectivement par les enfants en assemblée et chaque activité dure entre 45 minutes et une heure. Les trois ans font des jeux libres ensemble, parfois animés par l’adulte. Le reste du temps, les enfants sont en jeux libres, le plus souvent à l’extérieur. Lors de mon observation, l’activité était d’enfiler des perles de bois de différentes grosseurs, formes et couleurs. Les éducatrices proposaient de créer des suites logiques avec les formes, les couleurs ou les grosseurs. Par contre, elles n’imposaient pas leur consigne au groupe et plusieurs enfants créaient leurs propres combinaisons et partageaient aussi leur travail. Après une vingtaine de minutes, certains enfants se sont levés et s’agitaient dans la classe en sautant, riant et en faisant tourner leur ficelle comme un lasso. Les éducatrices ne sont pas intervenues et après quelques minutes, les jeunes sont revenus à la table pour continuer l’activité pour encore une trentaine de minutes. Cet épisode est marquant pour moi, car on nous apprenait à l’université que l’attention des jeunes est courte et qu’il faut organiser des activités pas plus longues que 15 minutes au préscolaire, sinon la classe se désorganise. Ces éducatrices ne cherchaient pas à avoir le contrôle de la classe et les jeunes ont prouvé qu’ils sont capables de bouger sans déranger tout le monde lorsqu’ils en ont besoin. Cela les met dans des situations où ils ont l’occasion d’être en contrôle de leur énergie et de porter une attention prolongée à une activité qui les intéresse.
Gouvernance
L’esprit de communauté est très fort à la Paideia et tous s’entendent sur des valeurs communes.
-La liberté individuelle: avec le concept de liberté vient aussi la responsabilité de vivre en groupe et de respecter la liberté individuelle des autres. Cela inclus de faire des tâches afin d’assurer le bien-être de soi-même et des autres: cuisine, ménage, résolution de conflits; tout se fait en collectivité.
-Antiautoritarisme: les décisions sont prises collectivement en assemblée d’école ou de groupe, le processus de décision est transparent. Personne n’a de pouvoir sur personne, mais tous ont le pouvoir de s’impliquer dans les décisions collectives.
-Égalité sociale et entre les sexes: le tarif de l’école est abordable en comparaison aux écoles privées (200€/mois) et certaines familles qui n’ont pas les moyens ne paient pas. Aussi, l’égalité des sexes est concrète dans les paroles ( compañeros, compañeras à l’oral et compañer@s à l’écrit) et est vécue dans les actions des enfants : des garçons de 12-13 ans qui jouent sérieusement à l’élastique, j’ai rarement vu ça dans une école.
-Le jeu pour l’apprentissage: permet la socialisation et le sentiment de communauté, avec le travail collectif, permet la responsabilisation des jeunes vis-à-vis de leurs paires.
-Autonomie de l’individu: autonomie individuelle et socio-affective. Les enfants prennent soin l’un de l’autre et n’ont pas de relation de dépendance envers l’adulte. Cela leur permet de prendre des décisions pour eux-mêmes et d’avoir une réelle motivation intrinsèque.
Ces principes sont très clairs et les jeunes les comprennent bien, ils font les tâches collectives avec enthousiasme, même si certaines d’entre elles semblent inutiles selon mes critères bien personnels comme balayer les feuilles tombées sur le préau tous les jours… Ils comprennent bien que la liberté vient avec des responsabilités et que ce travail fait partie de leur responsabilité et de leur apprentissage. Les adultes n’ont pas à intervenir pour que les enfants se mettent à la tâche, il y a vraiment autorégulation entre eux. Ce sont les enfants, chapeautés par un adulte, qui préparent le repas, mettent la table et desservent.
Un autre exemple de la capacité d’autogestion des jeunes : après le diner, les enseignants restent à l’intérieur pour discuter et les enfants, qui ont fini de manger bien avant, sont tous à l’extérieur. Un jour, je me suis dépêché de manger afin de voir ce qu’ils faisaient dehors et ce que j’ai vu m’a étonné. Ils étaient 20 dans un carré de sable d’environ 6 mètres par 6 affairé à construire des maisons, murs et routes. Ils étaient donc très serrés et il y avait peu d’espace pour se déplacer sans marcher sur une construction. Plusieurs ont été détruites par des pas, mais il n’y a eu aucun conflit, seulement des demandes de faire attention, alors l’enfant fautif s’excuse et parfois aide à reconstruire. À un moment deux garçons d’environ 11 ans se sont mis à se lancer du sable et à se poursuivre entre tout le monde faisant beaucoup de dégâts. Une petite de 7 ans leur a crié que ce n’était pas la place et leur a demandé d’aller ailleurs, les deux garçons sont allés courir ailleurs. Pendant 40 minutes, il n’y a eu aucun adulte sauf moi qui étais à l’écart et ses enfants jouaient paisiblement… Est-ce possible?
Mot de la fin
La Paideia est vraiment unique pour l’ambiance et le sentiment de communauté qui y règne. Les enfants en sont fiers et ils ont beaucoup de responsabilités. Des écoles que j’ai visité, c’est l’école qui a le moins de ressources matérielles et financières, pourtant, les deux premiers jours, il y a eu au moins 4 groupes d’enfants très fiers qui m’ont fait visiter l’école en me montrant les projets qu’ils font et les parties de l’école. Dans les autres écoles, ceux qui guidaient mes visites étaient soit des enseignants, soit des élèves mandatés ou personnes. En aucun cas ce n’était des visites spontanées démontrant un intérêt à communiquer et à transmettre son enthousiasme comme à la Paideia.
Je vous invite à aller voir sur une vidéo avec sous-titre français qui vous donne un aperçu de comment fonctionne l’école et aussi de la philosophie qui est derrière!
Jean-Simon Voghel est un jeune enseignant à la retraite. Il est également un des membres-fondateurs du RÉDAQ.