Kapriole

3. Kapriole-WEB

Pancarte à l’avant de l’école donnant sur la rue, on voit derrière une partie du pavillon du secondaire entourée d’arbres.

J’ai visité l’école Kapriole à Freiburg en Allemagne pendant quatre jours. Elle accueille environ 150 élèves de 5 à 16 ans. L’école est séparée en deux bâtiments, un pour les petits (50 élèves) et l’autre pour les grands (100 élèves). La grande majorité des élèves qui finissent leur scolarité à Kapriole obtiennent leur diplôme (équivalent du secondaire), ceux qui ne l’ont pas, c’est par choix et non pas parce qu’ils ont échoué. La culture du diplôme est très forte en Allemagne, du moins, c’est ce qui ressort des témoignages que j’ai reçu, et les élèves comprennent bien qu’ils ont avantage à continuer leur scolarité au niveau postsecondaire. Plus d’une vingtaine d’enseignants de stagiaires et de bénévoles se partagent les tâches éducatives en donnant des cours ou ateliers et en agissant comme tuteur personnel pour les étudiants : chaque étudiant se choisit un tuteur lorsqu’il arrive à l’école et il peut changer lorsqu’il le souhaite et que le nouveau tuteur a assez de temps.

L’école semble être ignorée du gouvernement, du moins, à la connaissance des enseignants sur place. Il n’y a pas eu de visite d’inspecteur ou de contrôle concernant le suivi des programmes ou l’engagement des enseignants. Elle est enregistrée comme une école pour les élèves ayant des difficultés ou des handicaps, ce qui lui permet de proposer un enseignement moins rigide qu’une école traditionnelle.  Il ne semble pas non plus y avoir d’intérêt officiel de la part d’université ou de chercheur. Par contre, plusieurs personnes visitent l’école pour observer, faire des stages ou du bénévolat, il existe une multitude de façons, pour les gens,     de collaborer avec l’école.

Dans les débuts en 1997, l’école offrait seulement l’enseignement au niveau primaire et depuis 2003, elle offre en plus la scolarité pour le secondaire. Les débuts du secondaire étaient difficiles, parce que plusieurs élèves venaiene l’école traditionnelle où ils étaient en difficulté. Ils avaient une relation malsaine avec l’apprentissage et le voyaient comme quelque chose de pénible et de contraignant au lieu de le sentir comme quelque chose de positif et valorisant. Ces élèves sont passés par une période d’adaptation avant de reprendre le contrôle de leur apprentissage et de décider de passer les évaluations. Les niveaux primaires et secondaires sont dans deux bâtiments distincts.

Une journée à Kapriole

3.Horaire d'une journée secondaire-WEB

Horaire d’une journée au secondaire. En haut à gauche, la section Krank pour le personnel absent, ensuite 3 grands rectangles pour les trois plages-horaires de l’avant-midi avec les activitées aimantées, un peu plus à droite, un curseur pour indiquer où on est rendu, complètement à droite, les Ruckenfrei (dos libres) pour chaque plage-horaire.

Du côté secondaire, des élèves arrivent souvent en premier à l’école et sont impatients qu’on leur ouvre la porte. Dans une salle commune/ cuisine/ salon (Cuba ; chaque salle est nommée par un pays), où discutent plusieurs adolescents, il y a un déjeuner bruyant et amusant pour les profs, stagiaires et visiteurs. Vers 8 h 30, sans cloche ni avertissement, les gens se rendent dans les locaux de cours pour la première plage horaire de la journée.

Sur des feuilles affichées sur un babillard, les élèves peuvent proposer des sujets d’ateliers, de cours ou de discussion selon leurs intérêts. Ils ont aussi le choix entre plusieurs propositions faites par les enseignants. Outre les matières académiques, on retrouve de la formation en : ébénisterie, sculpture de roches, fabrication de papier, création de vêtements, danse, théâtre, atelier de médiation et résolution de conflit, création de jeux vidéo,  etc. Ces propositions sont affichées sur un horaire hebdomadaire accroché dans le corridor. Les cours ne sont pas obligatoires, mais pour certains d’entre eux comme le théâtre, les élèves doivent s’engager à y aller jusqu’à la fin du projet. Beaucoup de jeux et de matériel sont à la disposition des élèves et un parc avec des modules de jeux et de grands espaces entourent l’école.

3. Atelier accessibles aux petits-WEB

Atelier de menuiserie dans le pavillon des petits. Certains des jeunes peuvent venir y travailler seuls après avoir passé un permis prouvant leur capacité à utiliser le matériel de manière sécuritaire.

Les élèves sont libres d’aller où ils veulent sauf pour certains locaux où les petits ont la priorité. Quelques salles sont fermées à clé, les élèves qui obtiennent un permis peuvent y aller sous la supervision souvent distante du Ruckenfrei : sciences, artisanat, atelier de bois, cuisine. Le Ruckenfrei (dos libre) est un employé de l’école disponible durant les cours. Il répond aux besoins des élèves qui ne sont pas en classe et gère les clés. Du côté des plus vieux, l’ambiance est très calme durant les cours. Certains élèves n’y vont pas, mais c’est souvent parce qu’ils ont d’autres projets donc il y a peu de flânage dans les corridors.

J’ai assisté à quelques cours et j’ai été surpris de voir l’implication et l‘autonomie des élèves. Lors d’un cours de mathématiques, l’enseignante était absente, mais les élèves étaient présents et travaillaient en petits groupes, les plus avancés proposant leur aide à ceux qui avaient de la difficulté. J’ai vu le même genre de comportement de prise en charge par les élèves lors du cours de théâtre. Avant que l’enseignante arrive, les élèves se sont placés en petits groupes et pratiquaient des scènes et relisaient leur texte. Lorsque celle-ci est arrivée, un adolescent dit quelque chose (mes notions d’allemand étant assez limitées…) et les élèves se sont placés en cercle en silence. L’enseignante n’est pas intervenue pour demander le calme. Encore, à un cours d’anglais, les élèves étaient fatigués de faire des exercices de vocabulaire et de grammaire, l’un d’eux a dit qu’il était capable de les faire chez lui, qu’il préférait faire une autre activité. D’autres élèves étaient d’accord avec lui et tout le groupe a décidé de jouer au psychologue, jeu qui consiste à poser des questions aux patients (autres élèves) afin de découvrir leur maladie fictive.

Du côté des petits, des ateliers hebdomadaires sont organisés, couture créative, menuiserie, écriture, mathématiques, lecture, etc. Les enfants sont libres d’y aller ou de faire des activités libres avec les autres enfants. Les enseignants travaillent donc avec des plus petits groupes à la fois et seulement avec les élèves qui sont motivés. Comparativement aux plus grands, il y a moins de petits qui vont aux ateliers organisés par les adultes, les jeux libres sont populaires et apparemment très plaisants.

Le repas du midi est cuisiné sur place par un chef et des parents bénévoles, tout le monde se trouve une place dans l’école ou le parc pour manger. Les plus petits mangent quant à eux dans leur bâtiment. Les cours et les ateliers ont lieu durant l’avant-midi pour la plupart et en après-midi, les élèves ont le choix de rester à l’école ou de retourner à la maison. Plusieurs élèves restent, mais l’ambiance est beaucoup plus tranquille.

Gouvernance

3. Spanien, salle de langue-WEB

Les salles de cours sont petites et organisées pour les discussions et travaux d’équipes, ici, Spanien, une des salle de cours pour les langues secondes.

Il n’y a pas de directeur d’école, toutes les décisions (règles de l’école, utilisation du budget, venue de visiteurs, organisation d’activités et de sortie) concernant l’école sont discutées et votées en assemblée générale où les élèves sont en majorité. Certaines décisions comme l’engagement des enseignants sont reléguées à des comités où les élèves sont les bienvenus. L’assemblée générale a lieu toutes les semaines et est organisée par des élèves plus vieux (animateur, droit de parole, organisation des propositions). Un adulte prend en note les propositions à l’ordinateur et celles-ci sont projetées à un écran. Il est donc très facile, même pour quelqu’un qui comprend peu l’allemand, de savoir ce qui se passe en gros en assemblée. La structure des prises de décisions est aussi très claire : des propositions sont affichées à l’écran, on pose des questions pour clarifier la proposition, on inscrit des contrepropositions et enfin on passe au vote.

Les adolescents participent beaucoup, ils font la majorité des interventions et prennent beaucoup d’initiatives en proposant des activités et en organisant la vie scolaire. Cette participation des élèves plus vieux encourage les plus petits : un groupe de fillettes d’environ 6 ans a présenté une proposition demandant l’abolition de leur tâche de ménage, car elles trouvaient injuste de devoir nettoyer ce que les autres avaient sali. Cette proposition fut discutée et d’autres élèves ont fait des contre-propositions, finalement après un vote de l’assemblée, la tâche de ménage n’est plus obligatoire.

L’atmosphère était parfois bruyante en assemblée puisqu’entre chaque point, les personnes pouvaient entrer ou sortir et cela leur prenait un certain temps à se trouver une place. Aussi, c’est peut-être parce qu’un groupe de jeunes garçons était concerné par un point en particulier, ils ne s’intéressaient pas aux autres points, entraient et sortaient régulièrement et criaient à leurs amis à l’extérieur pour venir voter en masse. Ça a duré jusqu’à ce qu’un élève se propose d’aller les chercher quand ils allaient discuter de leur point et que l’assemblée leur demande de quitter la salle. À noter que les enseignants sont très peu intervenus pour gérer ce problème, ce sont les adolescents qui ont émis des propositions.

Il y a une assemblée des enseignants toutes les semaines, ils discutent de pédagogie et échangent des informations sur les élèves.  Ils y prennent certaines décisions afin de faire des propositions à l’assemblée générale. Par exemple, au fils des ans, énormément de règles ont été adoptées en AG et cela rendait compliquée la résolution de conflits. La plupart des gens ne connaissaient pas toutes les règles et certaines règles se contredisaient. Les enseignants ont décidé de proposer à l’assemblée d’abolir toutes les règles à l’exception de quatre, avec lesquelles la plupart des conflits sont résolus. (Initialement, les enseignants auraient voulu 5 règles, mais la tâche de ménage, comme on l’a vu, a aussi été abandonnée…) Il y a eu beaucoup de discussion autour de cette proposition et l’assemblée a finalement décidé que le sujet était trop important pour qu’elle décide seule. Elle a voté pour la proposition d’organiser une rencontre obligatoire où le projet serait expliqué, où chaque enfant serait entendu (tour de table) et après, tous voteraient. J’ai assisté à cette rencontre obligatoire et j’ai constaté à quel point les enfants ont pris cette décision avec sérieux. Finalement, les règles ont été abolies.

L’idée de proposer l’abolition des règles a d’abord été discutée par les enseignants et la présence de ce pouvoir parallèle des adultes est controversée au sein même des enseignants. Certains arguent qu’en agissant ainsi, les adultes se réservent un certain contrôle sur l’école et peuvent donner une orientation, ce qui entre en contradiction avec le principe du partage du pouvoir politique, d’autres affirment que les élèves ont aussi le droit de se réunir pour discuter afin de faire des propositions en assemblée comme l’a fait le groupe des jeunes garçons bruyants.  Aussi, les adultes ne contreviennent à aucune règle de l’école en se réunissant et l’assemblée reste l’autorité ultime de l’école.

Les discussions sur le fonctionnement de l’école sont monnaies courantes parmi les enseignants. Un des sujets qui suscitent beaucoup de discussions en ce moment est le fait que l’école se cherche une nouvelle bâtisse, les adultes se demandent jusqu’où ils peuvent engager les élèves dans ce genre de décision. Il est évident qu’ils veulent que les élèves participent : il y avait une visite pour un nouveau bâtiment et les jeunes étaient invités à y aller par autobus. Il est clair que les enseignants entretiennent un processus de réflexion continue afin d’impliquer les jeunes, par l’assemblée, dans chacune des décisions de l’école.

Les parents

Les parents doivent apporter leur contribution à l’école en faisant 19 heures de bénévolat par an.  Cela peut aller de l’aide à la cuisine, la surveillance au parc, l’animation auprès d’enfants, une campagne de financement, l’aide à l’entretien, etc.  Les parents ont aussi une part de responsabilité lorsqu’il est temps de payer les frais de scolarité. Ils forment une assemblée de parents et des employés de l’école leur montrent le budget annuel. Selon le nombre de parents, on calcul un montant moyen et on demande à chaque famille d’écrire le montant qu’elle est prête à payer. On additionne ces montants (cela reste confidentiel) pour vérifier si on atteint le budget et on recommence l’exercice en demandant aux parents d’augmenter leur somme jusqu’à l’équilibre. De cette manière, les familles avec peu de revenus peuvent envoyer leur enfant à l’école en déboursant le montant qu’elles peuvent.

Témoignages d’élèves

Les élèves sentent qu’ils ont un esprit critique et plus de répartie lorsqu’ils se comparent à leurs amis qui ne vont pas à Kapriole. Certains témoignent que des adultes à l’extérieur de l’école sont parfois confus lorsqu’ils expriment des opinions et qu’ils discutent, les adultes n’étant pas habitués d’entendre des opinions sortir de la bouche d’adolescents de 13-14 ans. Ils apprécient prendre le temps de faire ce qu’ils veulent et ne sentent pas de pression de la part des autres. Certains de leurs amis ont dû quitter l’école parce qu’ils se disaient perdus.

Mots de la fin

Première expérience dans une grosse école avec une communauté d’élèves impliquée et dynamique : il y a des prises de décisions importantes en grand groupe et les enseignants sont en constant travail de réaffirmation de leurs valeurs. On sent que l’école bourdonne d’idées, de réflexions et de remises en question. Le sentiment est que les adultes veulent intervenir le moins possible, qu’ils se placent délibérément en retrait afin que les élèves aient la possibilité de gérer leurs problèmes. Personne ne s’ennuie dans un tel contexte et les apprentissages sont riches.

L’école fait partie d’un groupe de 4 écoles libres qui se visitent régulièrement afin d’échanger et d’avoir un regard critique et éclairé sur ce qui s’y passe. Elle fait aussi partie des écoles fondatrices de l’EUDEC (European democratic educational community).