Freie Schule Leipzig

J’ai visité pendant une semaine la Freie Schule de Leipzig . Cette école a été créée en Allemagne de l’Est en 1990 lors de la réunification. Il y a alors un vent de liberté pour les gens habitant Leipzig et c’est dans ce contexte qu’une association de parents a créé l’école. La philosophie, les valeurs et la structure de l’école évoluent beaucoup durant son existence : l’école a vécu des ajouts, des séparations, des cours obligatoires ou non. Vous rapporter en détail son évolution est hors de ma portée.

Je vais seulement vous dire que la Freie Schule actuelle prend forme lors d’une séparation. À l’époque l’école était dans trois bâtiments, deux pour le primaire et un pour le secondaire. Une culture différente s’est installée dans chacun des bâtiments et à un certain moment, les cultures étaient trop éloignées pour continuer à travailler ensemble. Une école primaire et l’école secondaire voulant se conformer aux exigences du gouvernement en évaluant les élèves et l’autre école primaire voulant rester libre. La Freie Schule s’est donc séparée il y a une dizaine d’années et les deux autres écoles se sont trouvé un autre nom.

Après la séparation, les enseignants ont voulu continuer l’école secondaire, mais le gouvernement s’y opposait arguant que ce n’était pas dans le mandat de l’école (le bâtiment). Finalement, ils ont réussi à avoir le secondaire en passant par les tribunaux, car cela faisait partie de la philosophie de la Freie Schule d’offrir toute la scolarité afin qu’il y ait des enfants de tout âge donc plus de diversité dans les relations.

Vue sur la cour arrière, on voit l’école à gauche, un gymnase à droite et au fond, un espace de jardin.

Vue sur la cour arrière, on voit l’école à gauche, un gymnase à droite et au fond, un espace de jardin.

Aujourd’hui, Freie Schule accueille quelque 170 élèves de 5 à 16 ans et occupe 4 étages d’un énorme bloc de 5 étages. L’école a donc la possibilité de grossir en ajoutant le dernier étage. Lorsque j’étais présent, des plans d’aménagement de l’école étaient accrochés dans la cafétéria et on se préparait à entreprendre des travaux majeurs de rénovation.

Aussi, l’école de Leipzig est une des fondatrices, avec Kapriole de Freiburg, de l’Eudec (European democratic education community) qui fonctionne comme un réseau d’entraide, d’échange de ressources et joue un rôle de sensibilisation.

 

Une journée à Freie Schule

2. tableau de présence

Tableau de présence convivial utilisé dans plusieurs écoles libres : des petites fiches représentent chaque élève et membre du personnel. Lorsque quelqu’un arrive, il tourne sa fiche personnelle pour faire voir son visage et lorqu’il quitte, il la replace pour faire voir son nom.

Le mode de fonctionnement est semblable à la Kapriole de Freiburg : horaire hebdomadaire, organisation des locaux avec des noms de pays, tableau de présence à l’entrée, système de tuteur, diversités d’ateliers et d’adultes, etc. Ces deux écoles font partie d’un groupe de 4 écoles libres qui se visitent régulièrement afin d’avoir un regard critique et compréhensif, ce que les inspections gouvernementales ne feraient pas toujours…

 

Comme à Kapriole, les adultes ont un horaire de présence dans certains locaux (ateliers ou salles de classe) et les élèves décident d’y aller ou non. Dans les salles de cours, on est placé en cercle et l’ambiance est à l’entraide et au partage, les élèves comparent leurs réponses et se corrigent entre eux. Pendant les exercices, l’enseignant intervient seulement si les élèves ne sont pas capables de se débrouiller par eux-mêmes, c’est-à-dire rarement. Si on ne va pas aux cours, il y a    toujours moyen de trouver un endroit calme dans l’école ou un endroit où il y a des jeux et de l’action. Un enseignant (Springer, le sauteur) reste libre comme le Ruckenfrei de Kapriole pour garder le contrôle des clefs de certains locaux qui sont verrouillés. Les enfants demandent les clefs au Springer et celui-ci vérifie l’état du local après le passage des jeunes.  Pour certains locaux, les jeunes doivent avoir un permis pour y aller seuls, on veut s’assurer qu’ils savent utiliser le matériel correctement (couture, ébénisterie, électronique, musique, etc.).

3. salle de cours grands

Salle de cours pour les plus vieux. La grande table facilite les discussions et les interactions entre les élèves.

Durant mon séjour, les adolescents étaient assidus,  la plupart se préparait aux évaluations. Dans cette région de l’Allemagne, les élèves ont beaucoup d’examens gouvernementaux à passer s’ils veulent avoir leur diplôme : 9 en tout, en comparaison, à Freiburg où ce n’est seulement  que 3. C’est plus que dans les écoles traditionnelles, le gouvernement justifie ces examens supplémentaires parce que les élèves n’ont pas accumulé de crédits durant leur scolarité et doivent donc montrer qu’ils ont les mêmes connaissances en chimie, biologie, physique et histoire que les élèves qui font l’école traditionnelle. Malgré tous ces examens, les élèves commencent à s’y préparer seulement un ou deux ans avant, selon s’ils ont suivi quelques cours déjà, ou selon leur niveau de confiance. Ils ont donc le reste de leur scolarité (8 ans) pour suivre leurs intérêts. Malgré le temps relativement court de préparation, les résultats des élèves sont comparables à ceux des élèves qui ont fait l’école traditionnelle.

 Plusieurs ateliers sont disponibles en tout temps aux élèves. Sur la photo, « Kreativwerkstatt » (atelier créatif) ou les jeunes peuvent (dé)construire avec toute sorte de matériel recyclé. Lors d’un de ces ateliers, un groupe de garçon avait extrait des cônes de haut-parleur, les avait modifiés et observait le changement dans le son en faisant passer un courant électrique.

Plusieurs ateliers sont disponibles en tout temps aux élèves. Sur la photo, « Kreativwerkstatt » (atelier créatif) ou les jeunes peuvent (dé)construire avec toute sorte de matériel recyclé. Lors d’un de ces ateliers, un groupe de garçon avait extrait des cônes de haut-parleur, les avait modifiés et observait le changement dans le son en faisant passer un courant électrique.

Les jeunes entre 5 et 8 ans sont séparés en 3 groupes d’environ 18 enfants et ont chacun une classe et deux enseignants. Par contre, ils peuvent se promener où ils veulent durant la journée. Les deux enseignants se partagent la classe, car ils ont aussi d’autres tâches dans l’école. Aussi, il n’est pas rare qu’il n’y ait aucun enseignant dans les classes des petits. Pour les jeunes, il y a un cercle du matin pour discuter des activités de la journée afin de les guider un peu dans leur gestion du temps, sinon, ils sont maîtres de leur temps. Les plus vieux peuvent aller dans les classes des petits, ils y reviennent pour être avec les plus jeunes ou parce qu’ils sont encore attachés à leur ancien local. Durant mon séjour, les filles occupaient plus souvent les classes que les garçons. Ces derniers étaient plutôt à l’extérieur pour faire des combats d’épées, suivre les plus grands ou jouer dans les salles de construction. Ironiquement, un groupe de fillettes jouait à l’école dans une des classes. Elles étaient à tour de rôle une « Frau Lehrer » très autoritaire, écrivait des équations au tableau, donnait des dictées, frappait avec une baguette sur les pupitres en criant. Les autres fillettes s’exécutaient en retenant leur rire.

Gouvernance

Une des différences que j’ai notée par rapport à Kapriole concerne l’assemblée générale, elle a lieu deux fois par semaine et dure moins de trente minutes. Les participants doivent y être à l’heure, car il n’y a pas d’entrée possible lorsqu’elle est commencée, cela permet d’éviter les entrées bruyantes. Beaucoup d’élèves étaient présents (environ 60), mais ils participaient peu. La majorité des points étaient proposés par des adultes et je n’ai entendu qu’un seul élève faire un commentaire si on exclut les deux élèves qui animaient. Les enseignants sont préoccupés par cette situation et ont plusieurs pistes de solution à explorer afin de susciter la participation des jeunes durant les assemblées.

J’ai compris ce manque de participation des élèves par la place que prennent les examens pour les plus vieux, car ce sont eux qui normalement prendraient des initiatives et proposeraient d’organiser des activités. Étant donné la préparation exigeante aux évaluations, ils ont très peu de temps pour s’impliquer comme en témoigne le peu de participation à l’assemblée générale. Les horaires de cours sont aussi orientés selon les évaluations, les enseignants doivent préparer les élèves qui veulent passer les examens et sont donc confinés aux seules matières évaluées. Il y a donc une perte de diversité dans le contenu. Un  exemple de cette perte de diversité est le projet de « sustainability » ou les jeunes organisaient des activités de sensibilisation sociale et environnementale : utilisation d’espace de stationnement à d’autres fins, cueillette et préparation de fruit, entretien de ruches d’abeilles, organisation d’une conférence sur la décroissance.  Les enseignants ont de la difficulté à recruter des jeunes malgré leur intérêt manifeste. Ceux-ci n’ont pas de temps, ils sont tous occupés à préparer leurs examens.

Cela place parfois les jeunes dans une relation de consommateur avec son apprentissage. Ceux-ci se présentent aux cours pour se préparer aux examens. Les enseignants et les élèves ressentent donc cette pression du diplôme. Cette situation préoccupe les enseignants qui voudraient que les jeunes puissent approfondir leur intérêt. Ils sentent que leur liberté est brimée par la charge des évaluations.

Témoignages

Les parents doivent s’impliquer dans l’école et ils peuvent le faire de différentes façons, d’abord en participant à l’assemblée d’école qui agit comme la plus haute autorité de l’école. Ils peuvent aussi s’impliquer dans les activités quotidiennes de l’école comme l’animation d’atelier (couture, échec, musique, photographie…), du travail de bureau, aider lors des journées portes ouvertes, la cogestion d’un petit magasin avec les élèves, etc. Les enseignants sont tout de même conscients que l’implication des parents doit se faire en considérant le bien-être de leur enfant, c’est-à-dire que la présence des parents ne doit pas limiter la liberté et les droits d’un enfant.

Les élèves plus vieux sont bien informés de l’importance qu’a le diplôme pour poursuivre leurs études. Plusieurs vont aux cours pour se préparer aux évaluations et soutiennent que c’est un choix qu’ils ont fait. La préparation aux évaluations prend beaucoup de place, certains ont dû réduire leur implication dans l’école. Ils évoquent aussi d’autres raisons d’aller aux cours : par intérêt, être capable de lire, parce qu’ils ont du plaisir et parce que leurs amis vont en classe. Ils apprécient la liberté : à l’ancienne école, on ne pouvait rien faire. Ils apprécient la diversité des relations sociales et les cours non obligatoires.

Mot de la fin

Un des points majeurs de l’éducation libre et démocratique que je découvre est l’attitude des enseignants (des adultes en général) vis-à-vis des jeunes. Ils font confiance en leurs capacités et ce faisant, leur laissent toute la place pour qu’ils se développent par eux-mêmes. L’idée de l’éducation traditionnelle (et parfois de l’alternatif) est plutôt de planifier pour l’enfant des situations où nous pensons qu’il fera des apprentissages significatifs. Ce faisant, nous leur coupons des possibilités d’avoir de l’initiative.  Je pose la question, y a-t-il quelque chose de plus significatif que ce que l’élève choisit lui-même et qu’il fait par lui-même? Pour illustrer mon propos,  je partage une anecdote que j’ai observée dans une des classes de petits à Leipzig.

 

Une petite d’environ 6 ans est installée à un jeu et se cherche des partenaires.  Elle demande aux élèves qui passent près d’elle s’ils veulent jouer, mais la plupart veulent aller à la leçon de sport qui est dans 5min. (Quoi de plus significatif pour apprendre l’heure que d’organiser soi-même son horaire?) La petite continue tout de même et réussit à rassembler 4 joueurs pour son jeu (dont 1 enseignant). Cela lui a pris une quinzaine de minutes. J’ai rarement vu une jeune élève avec autant de détermination, je suis habitué de voir les élèves se plaindre que personne ne veut jouer avec eux après 1 ou 2 essais…et souvent, c’est l’adulte qui propose des solutions…

 

Les joueurs sont autour de la table, mais le soleil plombe d’un côté,  gênant les joueurs. Un d’eux se lève pour tirer le rideau et maintenant, c’est l’autre côté de la table qui est ensoleillé. Les enfants se plaignent et argumentent. Mon réflexe d’enseignant aurait été d’intervenir et d’aider les enfants à trouver des solutions. (Est-ce qu’on a le luxe d’attendre que les enfants cherchent vraiment leurs solutions lorsqu’on a un programme à suivre?)  Or l’enseignant n’a rien fait, même si les enfants semblaient dans une impasse. La petite du début décide qu’elle va changer de place et va sur une autre table, mais elle se plaint maintenant qu’elle est trop loin et qu’elle ne voit plus le jeu. (Encore une fois, l’enseignant ne fait rien) Un garçon prend l’initiative de ranger le jeu pour rejoindre la petite à l’autre table et alors l’enseignant commence à l’aider et finalement, tout le monde rejoint la petite à l’ombre. Le jeu peut commencer.

 

Qu’a appris la jeune fille: leadership, prise de risque, recherche active de solution, détermination, autonomie ?

Qu’aurait appris la jeune fille si l’enseignant était intervenu: dépendance envers l’adulte?

Qu’en pensez-vous?