Expérimentation dans l’enseignement sans manuel ni examen

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Voici une des diapositives que nous avons créées dans notre segment (Remembering our losses in 2015) «Hommage aux pertes de 2015» pour le gala.

Le deuxième jeudi de septembre de l’année, alors que d’une minute à l’autre, je m’apprêtais à donner un cours d’arts dramatiques à Compass, je me retrouvais nerveux et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, je n’avais jamais donné ce type de cours plus tôt dans ma vie, en plus de n’en avoir jamais suivi auparavant. D’autre part, comme ce fut le cas pourchaque premier cours que j’ai pu donner dans des milieux d’apprentissages tels que Compass, il a la fonction principale de permettre aux élèves de percevoir un avant-goût du contenu du cours et de décider s’ils vont continuer à le suivre durant le reste du semestre. Certaines classes ne poursuivent malheureusement pas l’expérience au-delà de cette séance initiale, tandis que pour d’autres, l’aventure s’achève dès la deuxième ou troisième fois, faute de fréquentation.
Quelques jours plus tôt, les co-directeurs de Compass avaient partagé une liste de cours, que des enseignants comme moi souhaiteraient offrir au centre. Pendant cette rencontre, lorsque fut venu le temps de parler de mon cours, les jeunes ont pu apprendre que ce dernier s’appellerait Fake Awards et ont pu entendre une courte définition, trop abstraite, du contenu prévu. Finalement, six jeunes ont choisi de venir au premier cours, ce qui constitue un nombre normal pour un centre comme Compass, fréquenté par environ quinze jeunes. Dès les premières minutes, illes m’ont tou.te.s avoué être intrigué.e.s par le déroulement du cours à venir, mais ne pas comprendre de quoi il s’agirait. Bien que je n’avais jusque-là aucune expérience en arts dramatiques, j’étais tout de même confiant quant au potentiel du contenu à présenter. En effet, depuis que j’avais commencé à enseigner dans des milieux comme Compass, chacun des cours donnés qui connurent le plus de succès en terme d’engagement et de participation avaient tous un point commun : l’implication de la co-construction de quelque chose, qu’il s’agisse d’un journal (dé)scolaire ou encore d’idées pour penser le monde ou le passé. Ce faisant, j’expliquai aux jeunes présents que leur objectif serait de co-construire un anti-gala ou une satire des galas. Cela allait impliquer de créer des fausses catégories de prix, des faux nominé.e.s, des faux discours de remerciement et d’introduction, et surtout des faux extraits de vidéos de nominé.e.s. À titre d’exemple, je leur ai mentionné qu’une catégorie allait pouvoir être Most Inappropriate Fart Joke ou Most Ineffective Pick-up Line. Ayant une meilleure idée de ce à quoi s’attendre du cours, certains jeunes ont décidé de ne pas suivre le cours, alors que d’autres s’ajoutèrent à ceux qui avaient choisi de rester. Or, à ma grande surprise, 8 mois plus tard, le cours avait toujours lieu presqu’une fois par semaine.

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Une autre perte pour l’année 2015

Quand j’en parle à des gens de mon entourage, plusieurs amis me disent trouver amusant le concept du cours, mais à peu près chacun d’entre eux me demande ce que les jeunes apprennent dans un cours de ce genre. En animant celui-ci, j’ai rapidement réalisé et vécu la confirmation de ma croyance que lorsque des jeunes peuvent s’investir dans un projet qui les intéresse, beaucoup de positif peut en émerger. Par exemple, chaque cours, que ce fut la période où nous écrivions nos scénarios ou celle où nous filmions, impliquait la prise de plusieurs décisions. Devrions-nous utiliser telles blagues à tel moment ou pas? Ferions-nous mieux de filmer sous cet angle ou pas? Qui devrait jouer tel rôle? Ce faisant, nous avons pu collectivement mettre en pratique différentes stratégies afin de prendre ce genre de décision. Bien que nousayons essayé de trouver un consensus lors de chaque prise de décision, nous avons préféré de choisir les options que la majorité d’entre nous appuyaient. Conséquemment, ce n’était pas moi comme enseignant qui ai pris les décisions, mais plutôt tous les jeunes ensemble. Afin desélectionner l’individu qui jouerait un rôle, ce ne fut pas l’adulte qui a exercé un jugement envers un jeune en exprimant : «Toi, tu es la meilleure personne pour jouer ce rôle et tous les autres ne sont pas meilleurs que toi». Lorsque le problème a émergé, un des jeunes a proposé à celui qui souhaitait l’attribution du même rôle de faire un deux de trois au jeu roche-papier-ciseau. Par conséquent, ce fut les jeunes qui ont trouvé le moyen approprié d’effectuer la résolution du problème rencontré.

Un autre défi auquel nous avons été confrontés fut de déterminer si non seulement les blagues construites étaient drôles, mais également si elles étaient éthiques. En ce sens, nous avons traversé plusieurs débats visant à déterminer s’il serait approprié de faire une blague qui traite, par exemple, de la mort de Robin Williams, ou encore d’en faire une impliquant Bill Cosby ou la défaite des Conservateurs lors d’élections. La question s’est également posée quant à l’aspect du sexisme et de l’homophobie. Dans nos réflexions, les jeunes ont pu faire ressortir divers points positifs et négatifs concernant ce genre de blague et ont pris le temps de réfléchir à la manière dont autrui pourrait se sentir.

Au final, ils furent huit jeunes à contribuer d’une manière ou d’une autre au Fake Awards. Au total, nous avons écrit, lu, relu, modifié et récité un peu plus de vingt-cinq pages de scénario et nous avons produit une vidéo de près de quarante minutes. Trois des jeunes ont passé plus de 40 heures à effectuer le montage vidéo et photo les soirs de semaines et la fin de semaine sans que je puisse y contribuer, faute de connaissances dans ce domaine. Je ne peux prétendre savoir ce que les jeunes ont pu apprendre exactement pendant ce cours, mais s’il est vrai qu’il faut passer 10 000 heures pour devenir expert à quelque chose, un bon nombre d’adolescent.e.s de 12 à 15 ans ont pu passer une centaine d’heures à créer une vidéo satirique.

Marc-Alexandre Prud’homme est le fondateur du RÉDAQ. Il enseigne à temps partiel à Compass à Ottawa et travaille comme chargé de cours en éducation dans différentes universités du Québec et de l’Ontario.