« Tiens, tiens… une grande quantité des élèves de ma classe sont médicamentés pour un déficit de l’attention et /ou une hyperactivité. » ai-je constaté, un certain jour de classe, il y a quelques années. « Je vais demander à ma collègue si ceci est également vrai pour sa classe. »
« Tiens, tiens… ceci est vrai pour l’autre classe aussi! »
Ainsi commença une enquête personnelle où l’indignation croissait avec chaque constat supplémentaire confirmant mon observation initiale. Depuis, j’ai recensé la proportion d’élèves médicamentés dans 8 classes. En moyenne, près du quart des élèves de la fin du primaire sont médicamentés quotidiennement, selon les résultats de mon enquête. Est-ce un trop petit échantillon pour pouvoir réellement conclure? Probablement, mais je suis convaincue qu’une plus grande étude révélerait les mêmes chiffres. Pourquoi ne sommes-nous pas déjà au courant d’un fait si choquant? Simplement, personne n’ose en parler. Les parents sont gênés d’en discuter, les enseignantes n’en parlent pas non plus et doivent le secret professionnel. Se sentent-elles inconsciemment coupables?
Pour moi, ce constat est d’autant plus choquant qu’il me semble personnellement évident que les enfants ne sont pas faits pour rester assis, tranquillement et silencieusement, à faire ce qu’on leur demande pendant 5 heures par jour de semaine, sans compter les devoirs. Si plusieurs enfants tolèrent cet état des faits, plusieurs autres peinent à y arriver. En plus de cette obligation douloureuse, ils se font étiqueter (hyperactivité, déficit de l’attention) et médicamenter. Si j’ai bien compris, un enfant «hyperactif » est un enfant actif qui peine à rester tranquille, silencieux et concentré sur les tâches qu’on lui impose toute la journée. Pour moi, il s’agit là d’un enfant tout-à-fait normal ayant besoin de support et d’acceptation. Il ne s’agit pas d’un enfant ayant une pathologie et devant se faire diagnostiquer et soigner.
Les parents ne sont pas à blâmer. Ils choisissent souvent la médication à contrecœur après plusieurs années d’hésitation. Ils finissent par aller de l’avant, espérant qu’enfin, leur enfant se fera mieux accepter, moins réprimander et qu’il réussira mieux. Comment leur en vouloir?
Dans les écoles démocratiques, les élèves ne sont pas médicamentés. Leur différence est acceptée. On attend qu’ils soient prêts pour leur enseigner. Ils avancent, ensuite, à leur rythme, qui, par ailleurs, est généralement plutôt rapide vu qu’ils ont décidé d’apprendre. La motivation est donc au rendez-vous alors que, trop souvent, l’école normale l’éteint.
Ma visite dans une école démocratique, près d’un an suivant cette enquête, a confirmé, pour moi, toutes mes idées et impressions au sujet de la médication et de la motivation d’apprendre. Une bonne proportion de ces élèves provenait des écoles « normales » et y avait vécu de mauvaises expériences. À cette école, les élèves travaillaient la moitié moins et réussissaient clairement mieux à obtenir leur diplôme d’études secondaires que les élèves provenant des écoles publiques « normales » de la même ville alors qu’aucun d’entre eux n’était médicamenté. Ils provenaient d’un milieu défavorisé et leurs parents ne payaient pratiquement pas pour leur fréquentation scolaire. Leur réussite provient du fait qu’on leur a permis d’être des enfants actifs et bavards et qu’on ne leur a pas détruit leur motivation et leur initiative. On leur a permis de maintenir leur envie naturelle d’apprendre et de prendre la vie à deux mains.
Aussi, chose qui est considérée comme étant très peu importante dans les écoles normales et pour la société en général : le niveau de bonheur des enfants. Ces jeunes de l’école que j’avais visitée étaient clairement plus heureux que tous les enfants que j’ai côtoyés dans les autres écoles. Leurs yeux pétillaient de vie. Cela n’est-il pas à prendre en considération dans notre choix de système éducationnel?
L’enseignante Unetelle a préféré garder l’anonymat pour parler de ce sujet. Elle enseigne dans une école primaire du Québec.