(Cet article est en réponse à un article à propos de la couverture par les médias des tueries dans les écoles)
J’aime bien la question que tu poses dans cet article, mais je la vois de façon plus radicale que ce que tu me présentes ici. Hannah Arendt disait que la tâche de la scolarisation est autant de protéger le monde contre les jeunes qui ne connaissent pas encore son fonctionnement, que de protéger les jeunes du monde, qui les dévoreraient sans plus de quartier.
Cet exercice d’obligation, de servitude pour son propre bien, est un des apprentissages que veut passer l’école. Il est volontaire et connu. Ils doivent comprendre que leurs libertés sont très fortement encadrées par celles des autres, plus grands, plus nombreux, plus puissants qu’eux. Ils vont constamment s’y frapper durant leur vie adulte. L’adolescence est un phénomène occidental; pour les anciens peuples, le passage de l’enfance à l’adulte est une affaire d’une journée ou une semaine, souvent associé à un rituel ou l’accomplissement d’une tâche spécifique en lien avec son rôle dans l’économie locale. La crise d’adolescence est une construction culturelle comme l’école qui l’encadre, ses traumatismes en sont aussi les créations.
Apprendre à réfléchir et à choisir pour soi-même est un exercice long, difficile, jamais complet et épuisant en quelque sorte. Les enfants auront inévitablement à apprendre que leur volonté n’est pas la seule chose qui peut conduire à l’action ni en décider. Ils ont aussi la connaissance que l’objectif n’est pas l’école en soi, mais bien l’intégration du monde. Un monde ou la liberté n’est possible que lorsqu’on connaît ce monde. Lorsqu’on sait quelle action produira quelle conséquence, quelles forces nous sont accessibles, lesquelles ne le sont pas. La liberté n’existe en tant qu’illusion dans la tête de l’ignare, et sans savoir, il est impossible de savoir ce qui doit être su! Tous et toutes pour espérer à la liberté de pensée devront d’abord apprendre, même lorsqu’on n’y voit pas l’intérêt. La démocratie est impossible sans la liberté de pensée, le jugement impossible sans son exercice assidu et la réflexion impossible sans matériaux déjà connus et compris.
Je crois que ce n’est pas tant l’école qui se trouve à être le problème quant aux tueries dans les écoles, mais bien le monde qu’elle essaie d’inculquer à nos jeunes, un monde passablement injustifiable, inintelligible, contradictoire et, selon le courant présent, bien peu durable. Lorsque la lumière au bout du tunnel ressemble à un précipice, quelle envie aurait-on de s’y lancer?
Sans oublier que nos pensées nous sont à peine dociles. Il faut un entraînement rigoureux pour mettre au silence la voix qui nous parle constamment dans notre propre tête. C’est une norme, non une maladie mentale. Son contrôle est possible, mais difficile. Son utilisation hasardeuse, bien entendu. «Vous pouvez garder le silence (difficilement). Tout ce que vous direz (dans votre tête) pourra être retenu contre vous!» Surtout sans une éducation de la raison et de la logique pour arriver à réfléchir ses matériaux de savoirs qu’on nous force à apprendre. L’école n’a pas inclus dans son curriculum l’exercice de sa maîtrise, à proprement parlé. Les mécanismes de la raison et du raisonnement sont assez connues, plutôt faciles à vulgariser et ils sont en fait parmi les plus vieux contenus de la scolarité hérités des Grecs. La raison s’instruit. Ma question est : pourquoi ne le faisons-nous pas?
Élisabeth Doyon finit présentement son baccalauréat en enseignement secondaire à l’UQAM.